Les secteurs de la forge et de la fonderie français ont le vent en poupe. Nombreuses sont les industries, y compris des secteurs stratégiques comme l’aéronautique, faisant appel à leur expertise en matière de production et transformation des métaux. La filière, portée par un savoir-faire reconnu à l’international, rassemble des entreprises innovantes et dynamiques. Afin de s’adapter aux évolutions du marché, les forges et fonderies françaises prennent depuis plusieurs années le tournant de la digitalisation et s’équipent de GMAO nouvelle génération.
Nous avons rencontré Olivier Vasseur, responsable des territoires pour la Fédération Forge Fonderie. Après nous avoir présenté le rôle de médiateur de la Fédération au service de ses adhérents, nous avons échangé sur l’importance de la communauté dans le déploiement d’une stratégie de digitalisation.
Mobility Work : « Pouvez-vous nous présenter brièvement votre parcours ?
Olivier Vasseur : Mon parcours débute il y a une trentaine d’années avec un BTS Fonderie à Armentières (59). J’ai toujours travaillé dans l’industrie, et plus particulièrement en fonderie, où j’ai occupé divers postes. En 2000 j’ai intégré la FMGC (Fonderie et Mécanique Générale Castelbriantaise), une société du Groupe Farinia. J’ai occupé différents postes en production et en process engineering jusqu’en 2005.
À cette période, la FMGC avait repris une fonderie de contrepoids, moulage V-Process et fusion électrique basse fréquence en Bulgarie. J’y ai donc passé quatre années. À mon retour de Bulgarie, j’ai eu l’opportunité de travailler dans diverses sociétés. Je suis notamment passé par la fonderie de Grandry Technologies à Sablé sur Sarthe (ndlr, aujourd’hui Poclain Technicast). Puis je suis retourné à la FMGC jusqu’en 2015. Cette année-là j’ai été contacté pour un poste de responsable technique à la Fédération Forge Fonderie.
J’ai accepté l’offre et pendant trois ans j’ai occupé ce poste. En septembre 2018, j’ai évolué vers un poste de responsable des territoires pour la Fédération Forge Fonderie. À ce titre je suis le référent des adhérents de la fédération, j’assure la promotion de notre organisation auprès des non-adhérents, et j’ai en charge l’animation des territoires.
En quoi consiste cette fonction d’animation des territoires ?
La Fédération représente les forges et les fonderies françaises, ainsi que le secteur des moules et prototypes. 450 forges et fonderies sont encore implantées sur notre territoire. Parmi elles, 180 entreprises adhèrent à la Fédération.
Nous organisons périodiquement des réunions d’information sur les expertises de la fédération (Juridique, EHS, Formation, technique,…), ou autre comme la Forge Fonderie du futur ou encore l’efficacité énergétique
Pouvez-vous présenter la Fédération Forge Fonderie ?
Comme toute fédération, nos missions sont de rassembler, de représenter, d’accompagner et de défendre les intérêts de nos adhérents. La France est le 3e producteur européen, derrière l’Allemagne et l’Italie, et le 11e producteur mondial. Notre rôle est de les représenter sur plusieurs thématiques : juridique (hors social), environnement & sécurité, formation et communication.
Dans cette optique, nous agissons au niveau local et européen, principalement. Nous représentons nos entreprises lors de discussions et participons à des échanges aux côtés du CAEF, pour les fonderies, et d’EUROFORGE.
De quels moyens d’action la Fédération Forge Fonderie dispose-t-elle ?
Notre action se divise en plusieurs axes.
Sur le plan environnemental, par exemple, la Fédération peut représenter les entreprises lors de discussions au niveau européen. Les limites d’émissions (rejets gazeux, poussière, etc.) sont définies par l’Union Européenne (UE) : c’est ce que l’on appelle les BREF (document de référence sur les meilleures techniques disponibles). En 2018, des audits ont été réalisés en la matière dans les fonderies représentatives. La Fédération a un rôle de représentation des forges et fonderies françaises vis-à-vis de l’UE pour faire entendre leur voix et définir de nouveaux taux d’émissions pour les années à venir. Pour cela, nous prenons en compte les émissions actuelles, les BREF déployées en France et essayons de négocier des taux d’émissions de nos forges et fonderies à l’horizon 2022-2024.
Au niveau juridique, nous intervenons principalement dans le cadre de contrats de vente, de litiges qu’il peut y avoir entre un fondeur ou un forgeron et un client. Nous avons un directeur juridique qui, à la demande, aide nos adhérents sur ces questions-là.
Ensuite, nous avons le pôle communication, dont l’objectif est de valoriser nos métiers et nos entreprises dans le domaine de la transformation des métaux. Pour cela, nous proposons notre propre revue, La Revue Forge Fonderie, magazine de référence pour les évolutions et actualités de nos métiers. Quatre numéros à l’année tirés à 3 500 exemplaires et une diffusion auprès des entreprises du secteur et de l’écosystème.
Enfin, nous travaillons sur tout un pan économie et statistiques. Nous agrégeons toutes les données de production de l’année, sur tous les métaux et les différentes entreprises (adhérentes et non-adhérentes).
Cela comprend les statistiques en termes de chiffre d’affaires, de produits, de matières utilisées, ainsi que la répartition des différents métaux produits sur toute l’année. En 2017, par exemple, les entreprises françaises de forge et de fonderie représentaient un peu plus de 7 milliards de chiffre d’affaires. On considère aussi le nombre de salariés, soit 38 000 sur les deux métiers confondus.
Tout cela nous permet de dresser un panorama de nos métiers, de leur évolution et de leur répartition sur les grands marchés, comparativement aux autres pays, notamment européens. À titre d’indication, nous sommes présents à plus de 50 % dans le secteur de l’automobile, à 20 % dans la mécanique, les travaux publics, l’énergie, le secteur agricole, et à 20 % dans celui du bâtiment et de la voirie.
Quelles sont les initiatives engagées par la Fédération pour soutenir la digitalisation des entreprises ?
Il y a deux ans, nous avons lancé un groupe de travail baptisé « Forge Fonderie X.0 » auquel participe Mobility Work. Sur nos 180 adhérents, une vingtaine d’entreprises y prennent part. Nous avons affaire à de gens passionnés, qui ont envie d’avancer. Cela fonctionne très bien, car les sujets sont axés terrain et métiers. Les métiers de la forge et de la fonderie ont des contraintes et des besoins particuliers liés notamment à la difficulté de l’environnement de travail (chaleur, poussière, etc.).
Nous avons délibérément choisi de ne pas l’appeler 4.0 car toutes les entreprises ne sont pas au même niveau en termes de transformation digitale.
On entend beaucoup parler de l’industrie 4.0. Nous avons donc eu la volonté de créer un groupe de travail où les entreprises échangent sur des sujets comme la connectivité des machines de production, la collecte et le traitement de données, les ERP, la fabrication additive, la robotique et la cobotique… La GMAO nouvelle génération de Mobility Work (gestion de maintenance assistée par ordinateur) s’inscrit dans ce premier volet que j’appelle « digitalisation ».
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Nous travaillons aussi sur l’évolution des compétences et les nouveaux besoins en formation des entreprises.
Cette partie du travail est très axée terrain. Une entreprise nous reçoit et organise les échanges autour de l’industrie 4.0. Les sujets sont très variés, de l’utilisation en entreprise d’imprimantes ABS ou PLA grand public à la collecte de données. Parfois, nous proposons des présentations, notamment sur Mobility Work. L’une des réunions s’est par exemple déroulée chez Setforge, qui a déjà déployé Mobility Work dans groupe ; la présentation était donc orientée terrain.
Mon rôle est d’organiser des réunions, de trouver les entreprises hôtes ou des thèmes intéressants à traiter dans le cadre de nos réflexions.
Comment la transformation digitale s’inscrit-elle dans la stratégie des entreprises ?
Nous travaillons avec de petites entreprises et des grands groupes : c’est un public très varié, les besoins ne sont pas les mêmes. De ce fait, l’idée n’est pas d’entrer dans l’industrie 4.0 à tout prix. On se concentre davantage sur l’amélioration continue. C’est comme cela que j’appréhende l’industrie 4.0 : on avance en intégrant progressivement les nouvelles technologies à notre disposition.
Cela ne fonctionne pas toujours du premier coup. C’est pourquoi nous misons sur les échanges et les retours d’expérience : cela permet aux entreprises de s’engager plus vite dans la digitalisation, en y intégrant les succès mais également les échecs.
On entend souvent que le paysage industriel français, et particulièrement les PME, souffre d’un retard en termes de transformation digitale. Comment le ressentez-vous ?
Il faut savoir qu’en France, le poids de l’industrie dans l’économie nationale est moindre par rapport à d’autres pays européens. Elle représente 12,4 % du PIB, alors qu’en Allemagne elle compte pour 20,3 % du PIB. De ce fait, l’industrie française ne bénéficie pas des mêmes aides, des mêmes investissements de la part de l’Etat, notamment.
C’est pour cela que l’on a appelé le groupe de travail X.0. Certains disent que les entreprises françaises ne sont pas encore à l’industrie 3.0, que nous en sommes au 2.5. Nous avons manqué le coche sur la robotisation, par exemple, par rapport à nos voisins allemands et italiens.
Cette situation est souvent plus compliquée pour les petites structures que pour les grands groupes. Ces derniers sont plus structurés. Les PME, elles, ne savent pas toujours par où commencer leur digitalisation.
Retrouvez notre témoignage sur la digitalisation comme levier de croissance des entreprises.
C’est en cela que le groupe de travail de la Fédération Forge Fonderie peut les aider. Elles s’inspirent des sujets abordés et en tirent des axes de travail à partir desquels elles pourront établir une stratégie à moyen ou long terme. L’objectif est d’avancer par étape.
Les entreprises disposent-elles des moyens et outils nécessaires à leur digitalisation ?
Nous nous sommes rendus compte que les entreprises collectaient un grand nombre de données de production, mais ne savaient pas toujours comment les exploiter ensuite. Il ne faut pas oublier qu’il y a quelques années encore, les entreprises n’échangeaient pas autant de données ou de méthodes de travail.
Nous essayons donc de collaborer avec des entreprises qui connaissent ou proposent des solutions de GMAO. Cela s’inscrit aussi dans la démarche du groupe de travail. Une organisation vient présenter sa solution aux adhérents et aux membres du groupe de travail, qui peuvent bénéficier de son expertise. L’une d’elles a même proposé de partager l’application qu’elle avait développée avec nos membres. Nous avons donc élaboré une plateforme d’échange sur le site internet de la Fédération, où sont stockés les plans de cette solution. Chacun peut ainsi les récupérer et les adapter à son usine.
De même, nous avons assisté à deux POC sur la collecte de données chez Setforge. À cette occasion, Mobility Work avait présenté sa solution nouvelle génération. Le deuxième intervenant proposait un assistant de maintenance prédictive ; il s’agissait d’une entreprise proposant un capteur avec IA (intelligence artificielle) embarquée. Après une phase de réglage et d’apprentissage, le capteur est en mesure de reconnaître les différents cycles d’un équipement et de détecter d’éventuelles anomalies.
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Les équipes de maintenance reçoivent une alerte et peuvent intervenir aussitôt. Cela permet notamment d’instaurer une stratégie de maintenance prédictive et d’intervenir en fonction de l’état réel des équipements.
Comment ces nouvelles pratiques sont-elles reçues (GMAO par exemple) ?
Les outils de gestion de maintenance (GMAO) représentent souvent un coût dont le retour sur investissement est difficilement chiffrable. Prenons un exemple : d’un côté, lorsque l’on s’équipe d’un robot, on peut calculer les bénéfices (en termes de temps, de ressources humaines, etc.) que l’on va en tirer. De l’autre, nous savons que la collecte et l’analyse de données va nous permettre d’améliorer la qualité, la productivité, mais cela reste difficile à évaluer précisément, et ceci est d’autant plus vrai pour les PME.
Mais il existe des solutions plus abordables, comme la GMAO Mobility Work. Grâce à son forfait mensuel, il n’y a pas de mise de départ importante. On peut facilement tester la GMAO. Cela permet aussi de faire un premier pas vers l’industrie 4.0 et la digitalisation, vers le réseau en maintenance. Qui plus est, la GMAO nouvelle génération permet d’attirer plus facilement les jeunes professionnels.
On entend souvent que les jeunes générations boudent le secteur industriel. Selon vous, l’industrie 4.0 et la digitalisation permettront-elles d’inverser cette tendance ?
L’intérêt des jeunes générations pour les métiers de la forge et de la fonderie, comme pour l’industrie en règle générale, est un vrai problème aujourd’hui. Mais je pense que ces nouveaux outils sont un plus, car ils sont plus attirants pour les jeunes générations. Des GMAO telles que Mobility Work permettent d’échanger, de réseauter.
Néanmoins, la Fédération Forge Fonderie s’implique dans la formation et la sensibilisation des jeunes. L’ESFF (Ecole Supérieure de Forge et Fonderie), par exemple, forme en apprentissage une trentaine d’ingénieurs tous les ans. Son directeur participe à chacune de nos réunions avec le CETIM (Centre technique des industries mécaniques) et le CTIF (Centre technique industriel de la fonderie), afin d’intégrer des modules « 4.0 » à leurs formations et pour les centres techniques de proposer des services en lien avec l’usine du futur au plus près des besoins industriels.
Nous avons par ailleurs proposé de financer un abonnement à l’Electrolab, un hackerspace basé à Nanterre, à destination des apprentis ingénieurs de l’ESFF pour qu’ils y développent leurs projets. Il est essentiel que les futurs ingénieurs et techniciens intègrent la digitalisation à leur vision.
Merci à M. Vasseur pour son témoignage éclairé sur l’avenir de la digitalisation dans les forges et fonderies françaises.